A l’heure où, pour des raisons sanitaires, nous ne pouvons accueillir en classe qu’une fraction de nos élèves habituels et sur la base du volontariat, quand les notes ne font plus partie du jeu, où le nombre de “décrocheurs” devient préoccupant, il est clair que la notion de motivation chez nos jeunes quant au système scolaire prend tout son sens.
Daniel Favre, s’appuyant sur des travaux neuro-scientifiques récents, dans son ouvrage “Cessons de démotiver les élèves”, évoque le rôle crucial de l’enseignant dans le maintien de cette motivation chez les apprenants. Il évoque 18 clés, sortes de “trucs et astuces” mis en place dans différentes classes qui pourraient contribuer à ne pas démotiver les jeunes dans leurs apprentissages. Tout processus d’apprentissage déstabilise une certaine forme d’équilibre interne chez l’individu et le rôle de l’enseignant serait de favoriser les meilleures conditions possibles pour que ce processus se réalise dans des conditions non culpabilisantes et rassurantes. Tenir compte des émotions serait également important, mais cela sous-entendrait que l’enseignant aurait été préalablement formé à les gérer, qu’il s’agisse des siennes ou de celles émanant de ses élèves. En créant un environnement sécurisant (non jugement), en privilégiant l’autonomie et la créativité, en mettant en valeur les forces des élèves plutôt que de les culpabiliser quant à leurs faiblesses, on aurait là les bases d’un enseignement plus propice à entretenir la motivation chez nos jeunes.
Pour aller plus loin, je me suis intéressée à qu’est-ce qu’était la motivation. En parcourant l’ouvrage de Charles Martin-Krumm et Ilona Boniwell, “Pour des ados motivés : les apports de la psychologie positive”, j’ai réalisé à quel point cette notion était vaste ! Il existerait, selon les auteurs, 101 définitions et théories de la motivation ! Rien que ça ! Autant dire que cet article ne pourra que survoler de manière simplificatrice ce champ de la motivation. Si le sujet vous intéresse, je vous invite à lire cet ouvrage car il contient une mine d’informations et d’études diverses sur la question.
Je n’en ai retenu que quelques points qui me paraissaient essentiels dans un cadre scolaire. Tout d’abord, les grandes théories de la motivation comme la TAD (Théorie de l’Auto-Détermination) insistent sur le “besoin d’autonomie”, le “besoin de compétence” ainsi que sur le “besoin de proximité sociale”. Il s’agirait donc de répondre concrètement à ses besoins afin de permettre à l’individu d’atteindre l’état de “flow”, sorte d’état de bien-être lorsque ces besoins sont satisfaits.
Les auteurs proposent pour ce faire d’enseigner la résilience, de développer le sentiment d’efficacité personnelle, d’amener une conception plus flexible des habilités au regard de la notion de performance, de ne plus considérer l’erreur comme une “faute” mais comme un moyen de progresser, de revoir les politiques d’évaluation ainsi que les conceptions de l’apprentissage en étant plus centrés sur les moyens d’amener l’élève à conscientiser sa progression plutôt que d’insister sur la compétition entre pairs, de développer la confiance en soi en responsabilisant les élèves dans leurs apprentissages… Bref, les auteurs plaident pour la refonte d’un système éducatif qui permettrait une approche positive plus globale des apprentissages, visant à augmenter le bien-être des élèves à l’école et donc une motivation plus importante et durable pour accomplir les efforts nécessaires.
Nous sommes bien plus souvent conscients de nos faiblesses que de nos forces. Sur cette page, vous pouvez vous amuser à compléter l’inventaire de ces dernières et vous pourriez être surpris ! Le questionnaire est un peu long mais les résultats sont ensuite détaillés. De plus, il est la traduction d’un test validé par les chercheurs en psychologie positive…
Une conversation informelle avec quelques uns de mes élèves m’a aussi amenée à m’intéresser à cette sorte de fascination qu’exerce sur eux les jeux vidéos. Si certains élèves étaient heureux de retrouver les bancs de l’école car le côté interactions sociales leur avait manqué pendant le confinement, d’autres m’ont avoué qu’ils auraient préféré continuer à jouer à “Fortnite” et donc rester chez eux. Mais si chaque personne à des raisons de penser ce qu’elle pense, de dire ce qu’elle dit et de faire ce qu’elle fait, c’est que cet attrait pour les jeux vidéos doit avoir un sens. Qu’est-ce qui motive nos jeunes à passer autant de temps sur leurs écrans ?
Si l’on regarde le “top 10” des motivations qui poussent les joueurs à s’investir dans les jeux vidéos, on peut se rendre compte, sans rentrer dans le détail, que ces derniers leur procurent un sentiment de bien-être dans la satisfaction des besoins ci-dessus évoqués dans les théories de la motivation. Rien d’étonnant alors que ces jeux soient tant prisés. Et sans que le constat puisse être généralisé puisque je n’ai pas interrogé un pannel représentatif d’élèves, on peut émettre l’hypothèse que la motivation à s’investir dans les jeux vidéos est d’autant plus grande que le bien-être et la confiance en sa réussite dans le système scolaire est faible. Cette hypothèse mériterait une étude plus approfondie mais cela semble logique. Le principe de plaisir est une recherche humaine importante et elle est garante aussi, dans la mesure où les contraintes sociales sont respectées, de notre satisfaction à vivre.
Pourtant, ces pratiques de jeux peuvent, dans certains cas, aboutir à une addiction. Elle a d’ailleurs été reconnue comme telle comme une pathologie par l’OMS en 2018 et introduite dans le manuel de psychiatrie de référence : le DSM.
D’autres chercheurs se sont intéressés à l’impact sur les fonctions cérébrales chez les joueurs. On entend souvent les médias nous alerter sur les dangers de ces jeux, sur leur impact quant au développement de l’agressivité chez les jeunes, sur les problèmes de sommeil que ces pratiques peuvent entraîner, sur la désocialisation, l’augmentation du taux d’obésité, la sécheresse occulaire… Des dommages dans des structures cérébrales comme l’hippocampe, nécessaire dans le circuit de la mémoire ont été constatés grâce à l’imagerie cérébrale. Bref, les inconvénients semblent à première vue très importants. Et bien, à ma grande surprise d’ailleurs, les résultats sont contrastés. Ils dépendent entre autre du temps passé sur les écrans au détriment d’autres activités, du type de jeu considéré… Dans la plupart des cas, il s’avère que le jeu est une sorte d’éxutoire qui permet aux jeunes de se détendre, de se sentir plus confiants dans leurs capacités qu’ils ne le sont dans la vie réelle surtout lorsqu’ils sont en difficulté sur le plan familial et/ou scolaire, de se défouler d’une agressivité contenue, de se “challenger”, voire même d’échanger avec leurs pairs virtuels dans le cas de jeux en ligne.
On peut peut-être en conclure qu’il serait important, non pas de rivaliser avec le système de récompense très au point des jeux vidéos pour remotiver nos élèves, mais au moins de repenser le système et nos conceptions de l’enseignement au regard de tout ce que les données de la recherche récente en matière de motivation nous apportent. Une approche globale, bienveillante, sécurisante, innovante qui pourrait satisfaire les besoins fondamentaux de nos élèves serait à concevoir. Et sur ce plan, il me parait évident que l’Education Nationale devrait revoir sa copie…